samedi 27 février 2010

ECOLE, LA GRANDE DUPERIE

Par Fabrice Madouas , in "Le spectacle du monde" février 2010
C’est en restaurant la transmission du savoir que l’école parviendra à lutter contre les inégalités sociales. 
Combattre les inégalités sociales. C’est le but que tous les gouvernements, de droite ou de gauche, ont assigné à l’Education nationale depuis l’après-guerre ; et, dans ce cadre, la polémique sur les quotas qui a brusquement secoué l’enseignement supérieur au mois de janvier n’est qu’un nouvel épisode de la lutte qui a profondément transformé l’école tout au long des dernières décennies.

Ce combat – car c’en est un – a commencé dès la Libération, en novembre 1944, quand le Gouvernement provisoire du général de Gaulle a confié au physicien Paul Langevin, auquel, en 1946, succédera le philosophe Henri Wallon, le soin de réfléchir à la réforme de l’enseignement en France. L’un et l’autre sont communistes. La commission qu’ils président établit donc un « plan » ; il est fondé sur l’idée que « l’enseignement doit offrir à tous d’égales possibilités de développement » et « se démocratiser, moins par une sélection, qui éloigne du peuple les plus doués, que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation ». 

L’objectif est généreux, malheureusement, la méthode va se révéler désastreuse : « C’est à ce moment précis que commence la dérive : l’élévation globale du niveau, considérée, non plus seulement comme une nécessité économique, mais comme un instrument de justice sociale, devient incompatible avec la sélection, assimilée – ce qui deviendra un véritable leitmotiv de gauche – au bras séculier de l’iniquité bourgeoise », résume Bernard Kuntz, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc).

Ce rejet de la sélection se double de la conviction que tous les élèves ont d’égales compétences et que seule leur origine sociale détermine leur réussite ou leur échec. C’est ce que, vingt-cinq ans après Langevin et Wallon, affirmera Pierre Bourdieu, dans son ouvrage la Reproduction (1970) ; le célèbre sociologue français y dénonce le « pouvoir de violence symbolique » exercé, selon lui, par le système scolaire : la transmission d’un savoir bourgeois permettrait aux classes dirigeantes d’asseoir leur domination sur les classes défavorisées. 

Le refus de la sélection et la condamnation d’un savoir prétendument bourgeois conduiront la droite et la gauche à deux décisions dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Pour la droite, ce sera la mise en place du collège unique. L’idée est d’accueillir quasiment tous les élèves au sein d’un établissement dispensant à tous les mêmes cours, selon les mêmes programmes, sans tenir compte ni de leurs compétences ni de leurs goûts, jusqu’au terme d’une scolarité obligatoire fixée à seize ans. C’est la réforme Haby, entamée en 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. La démocratisation de l’école débouche sur la massification de l’enseignement. 

Pour la gauche, ce sera la loi d’orientation scolaire conçue en 1989 par Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale, sous François Mitterrand. En mettant « l’élève au centre du système », cette loi, d’apparence elle aussi généreuse, prive le maître de l’autorité que lui conférait la transmission du savoir, en prétendant faire de l’enfant l’acteur de son propre apprentissage, selon les théories des partisans du « pédagogisme », incarné par Philippe Meirieu, ancien directeur de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP). L’école est mise sens dessus dessous. 

Les conséquences de cette politique se lisent dans les rapports, même édulcorés, de l’Education nationale : selon le Haut Conseil de l’éducation, 160000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans qualification; 25 % des écoliers ont des « acquis fragiles » en français et en mathématiques; 15 % « connaissent des difficultés sévères ou très sévères » à l’issue du primaire. Cette crise se constate aussi dans les comparaisons internationales : les résultats des enquêtes Pisa (menées tous les trois ans auprès d’élèves de quinze ans dans les trente pays membres de l’OCDE), montrent que, entre 2000 et 2006, les jeunes Français ont perdu 17 points en compréhension de l’écrit et 15 points en mathématiques. Enfin, le taux de chômage des quinze-vingt-quatre ans atteignait 23,9 % l’an dernier: deux fois plus qu’en Allemagne (11,2 %), où l’apprentissage est beaucoup plus développé.

De bons esprits se plaignent, aujourd’hui – à juste titre –, que la proportion d’enfants issus des milieux populaires soit bien moindre qu’autrefois. Sans se demander si la mise à bas, à l’école, de la transmission du savoir, dont ils ont été d’ardents propagandistes, n’y serait pas pour quelque chose. 

Au contraire, en envisageant l’instauration de quotas d’admission de boursiers dans les grandes écoles, certains préfèrent la fuite en avant.